Jane Deste sculpte, non pas le bloc de marbre ou de granit que l’on taille et cisaille, mais la terre qu’elle pétrit, modèle et façonne. Elle est de ces artistes qui vivent avec la matière, la ressentent et la font vibrer. Sa sensibilité très fine et perceptive, l’a très vite orientée vers le registre de la figure humaine. Elle considère que le visage est le paysage de l’âme, que chaque trait, chaque ligne, chaque méplat ou relief dessine une géographie de la personnalité, met à jour son intériorité.
Ce que Jane Deste revendique dans sa manière d’aller dans la glaise, c’est justement cette profondeur, cette recherche d’un secret enfoui au creux de la mémoire, peut être dans les (strates) refuge de l’oubli. Ses mains et ses doigts, pétrissent, creusent, lissent, arrondissent. L’angle se fait courbe, l’arête s’affine, l’orbite se creuse, le plat se bombe. Les gestes scrutent la masse, l’interrogent. Lentement la forme émerge, la figure apparaît. Il s’agit alors de donner sens et vérité, de savoir ce qu’il faut expurger, exprimer, ic et nunc, de ce matériau en devenir. En cours de réalisation, avec le couteau, elle retranche de la matière, ici, à la commissure des lèvres, pour en rajouter là, sur la courbe de la joue ou l’arcade du sourcil afin que s’incruste le caractère. Amoureusement, elle effleure, caresse, palpe pour donner vie. Cette sensualité ou cette douceur, voire cette grâce qu’elle nous dévoile, elle est allée la chercher dans les replis de son subconscient. Chaque visage, chaque buste est une naissance, un cri, un étonnement.
Puis elle s’attarde sur les alentours, le cou, l’échancrure, les épaules. C’est ce qui va rendre posture – ALLURER. Elle ajoute alors des fragments de matière, qu’elle laisse parfois bruts, parfois lisses, parfois scarifiés ou sur lesquels elle trace des motifs, en fonction de l’intensité, la rudesse, le mystère qu’elle cherche à explorer. Les têtes sont altières, où énigmatiques comme ce……., De face elles assument leur être, penchées elles semblent retenir un souffle, protéger un secret, méditer sur la vacuité des choses. De profil elles semblent scruter l’horizon, dans une position d’attente ou comme Le passeur être sur le seuil, dans l’entre deux, entre le dedans et le dehors.
Quelquefois Jane Deste s’attarde sur des études de dos. De part et d’autre de la ligne ondoyante de la colonne vertébrale se déploie un jeu de courbes à même la masse qui divulgue le travail de modelage, expose les gestes à l’œuvre dans la réalisation du dessein.
Attendre, regarder, partir, vouloir retenir ou à contrario, accompagner, guider ou bien encore se replier, oublier, penser, sont autant de possibles contenus dans la représentation des sujets que l’artiste façonne.
La terre, l’argile que Jane Deste travaille est soumise à des altérations, des variations de teintes volontaires ou hasardeuses qui créent des effets d’ombre et de lumière, aux différentes heures du jour, selon l’intensité de l’éclairage. Elle est aussi matériau fragile, cassable, ce qui procure aux œuvres leur nature éphémère et les rend présentes au monde. L’artiste toutefois choisit pour certaines d’entre elles de les reproduire dans un bronze qu’elle patine. Elles vont subir alors les différentes étapes de transformation qui de la terre au moule et du moule au bronze vont les rendre inaltérables et éternelles. Ainsi en va t’il du processus de la vie qui nous fait passer d’âge en âge par toutes les phases de l’apprentissage, de la connaissance et la transmission pour atteindre le but ultime du dernier passage vers l’ailleurs
MAIS… « Pétrir, modeler, mouler, fondre, explorer le sensible contenu dans la matière, là est mon chemin, dit t’elle ».
Bernadette Clot-Goudard janvier 2014